« Il faut apprendre à déjouer notre tendance à rêver bêtement donc à être déçu. Il est plus difficile mais combien plus lumineux de se hisser à une clairvoyance des choses et des gens donc de nous-même beaucoup plus profonde que celle où notre paresse quotidienne nous entraîne. Mais cette clairvoyance, ce sang froid du regard ne doit absolument pas amortir, fléchir, abattre notre action éperdue. Donc il faut se dédoubler mais rester un à la fois. Je dis ça parce que c’est mon expérience renouvelée donc toute fraîche dans les misères de mes échecs ou de ceux que je rencontre. Toi qui as tant de talent dans l’œil et la main tu laisses filer le temps. Nous sommes de la race de ceux qui sont foncièrement inquiets à perpète.
Le seul moyen de s’en sortir est de vivre avec cette angoisse en la détournant vers l’action de la main et de la tête. Pas de passivité, c’est la mort. Se délecter dans le passif est une forme de maladie.
(…)
Ne pense pas à la gloire, pense aux choses mêmes, fais-les. »
Alféo est son nouveau nom. Il continue à serpenter longtemps au Péloponnèse.
Il y avait en Sicile (oh), dans une île (tiens c’est étrange) à Syracuse (j’aimerais tant voir), une fontaine sacrée, elle ne s’appelait pas Désirée mais tout comme, il y avait un fleuve un dieu fleuve amoureux, on dit que leurs eaux se mêlent, on raconte que de la Sicile à la Grèce un tunnel est creusé dans les entrailles de la mer, on murmure que des fleurs poussent venues de Grèce et qu’un morceau de bois jeté dans l’Alphée en Elide réapparaît dans la source d’Aréthuse en Sicile.
Les eaux du fleuve ont permis à Heraclès d’assainir les écuries d’Augias : quelques brèches dans le mur d’enceinte, dévier le cours, et à l’aide du tumulte : continuer le travail.
Il y avait dans notre recherche pour choisir le nom de notre maison une volonté d’y adjoindre beaucoup de bleu et de soleil, nos racines profondes et un peu de sens. Le fleuve n’est pas le seul. Mais on avait trouvé l’accord. Celui qui pouvait émerger de notre cosmogonie personnelle de 2003.
Oui. Alfée pouvait émerger. Comme l’île surgie du chaos.
Oui c’est vrai par ici, on aime se souvenir. C’est un peu malgré nous, ce regard et ces résonances d’un temps à l’autre, d’une ligne à l’autre, d’une note à une autre. Musique.
Il y a des jours où l’on voyage, assis là, à sa table. On s’échappe, on écoute, on sent l’air embaumé de fleurs. On se plait à penser que le monde est autre. Qu’un rien dans l’air, une brise, un parfum de rose et de jasmin suffirait à couvrir leur vacarme. Cela fonctionne le temps, le temps de la musique.
La corde vibre, d’une parole l’autre, d’un frottement l’autre, d’une vérité l’autre, d’un homme l’autre, d’une racine l’autre, peu importe : c’est la même essence. Celle de ce matin dans la maison d’alfée, un 4 août.
Un peu à l’abri des nouvelles, ici, dans le bureau de bois clair, en bordure de périphérique. J’écoute le kamanché, je sens le vent dans les montagnes, j’entends le rire des hommes, je lis des poèmes et je me souviens. Je travaille.
« Dans le jardin des roses, hier, l’aube pointait. La nuit passée, dans mon ivresse, s’effaçait. J’étais pareil au rossignol.
Des amis, un flacon de vin, du loisir, un livre, un coin parmi les fleurs… Je n’échangerai pas cette joie pour un monde, présent ou à venir.
Que m’importent les tulipes et les roses, puisque par la pitié du Ciel, j’ai, pour moi seul, tout le jardin.
Si, comme Alexandre, tu prétends à la vie éternelle, cherche-la sur les lèvres roses de cette ravissante beauté.
Rien n’est meilleur que le plaisir, fête au jardin, le vin, les roses Où est passé notre serveur? Il tarde à venir. Qu’attend-il? »
ce matin, dimanche matin, aux alentours d’une soirée tourmentée…
nous ne savons pas où nous allons…
. il est toutefois des invariables
et dans la maison d’Alfée, on aime se réunir
autour de ces invariables…
Hum Toks & E.5131
. « Et si l’arbre brûle reste la cendre et la lumière dans le désert les cactus prennent racine. Si les sources se sont taries il pleuvra à nouveau
le jeune fils reviendra
à la maison abandonnée.
Sous la neige épaisse les graines veillent
à la frontière de la cour le vent mauvais s’épuise.
Et si nous sommes restés nus et entourés de loups
notre décision de nous battre reste intacte. »
Garde ta pulse, trouve ton battement, régulier avance, marche. Dans la maison d’alfée, dimanche. Un dimanche comme un lendemain. Un lendemain de dernier jour. Un dimanche comme un veille. Demain, la maison d’alfée souffle ses deux bougies. Deux ans d’un peu, de partage, de chronique, de marche, de 1+1+1+, de musique, d’art, d’enfance. Deux ans de bleu. Et d’amis. Demain, et le jour d’après, nous continuerons à marcher. Droit devant. Jonas un peu sous l’eau, pliant dans les vents contraires, mais on sait, on a l’habitude, on n’a pas peur. Un pas puis un autre, on marche. Garde ta pulse camarade. Joue avec, et retombe sur tes pieds, le bras fier. On avance. Nouveau chapitre d’alfée, elle veille. Lumière allumée, toujours en alerte. Le long terme est l’allure. Le mouvement est la vie. On marche même lorsque personne n’y croit. Le Pôle Handicap du CMA 19 ferme dans sa forme mise en place depuis la rentrée de septembre 2010. La Ville n’a pas souhaité l’institutionnaliser, pour une nouvelle direction il est devenu un « projet personnel ». Ce qui signifie que si la personne s’en va, le Pôle ferme. Soit. Fermons. Dans la maison d’alfée, si on te ferme une porte, tu cherches la fenêtre. Et tu trouves. Vous venez ?
. ce matin, dimanche après-midi, mercredi 11H30 (ou dimanche encore
encore plus tard…)
ou mercredi 12H21, mercredi… au moment où chacun, chacun son moment, apprend que ceux qu’on a suivis de près de loin, dans le doute, la crainte, le soutien ou le reproche, ont été assassinés
dans la maison d’alfée
on se dit : « oh, le dimanche 4… ou jusqu’au 7 au matin, c’eut été trop facile… »
on se dit aussi parfois qu’un « bonne année ! » bien envoyé (et dans les temps) sauve des vies… une vie, au moins… un sourire ici vers celle
. je suis dirge, je suis death, je suis un morceau à la portée de tous, je suis un chant funèbre, je suis une petite mélodie que je peux
. je n’ai pas écrit un mot véritablement depuis le 7
je m’aperçois de cela aujourd’hui… la barbe a poussé, le temps de reprendre pied, de passer la tête par-dessus l’eau, Jonas à mon tour, même si les occupations ne manquent pas, que les tâches s’accumulent, qu’il faut faire face au quotidien, aux grandes choses comme aux petites…
.
et puis aujourd’hui, on est mercredi 12H21, deux semaines plus tard…
deux semaines, te rends-tu compte ? as-tu vu le temps passer ?
oui, pour certain-e-s, il s’est arrêté…
d’ailleurs, beaucoup parlent d’avant d’après…
il s’agira de savoir pourquoi, comment, où…
de nous réunir…
. je suis, je ne suis pas, je suis autre, ou encore… le silence. il y eut aussi tous les je suis identiques, les tout à fait opposés à l’idée d’être identiques, tout en scrutant le même horizon. à chacun sa manière…
elle est peut-être là, la liberté
la liberté de fabriquer le ensemble, avec les différences
. qu’il faille tous être des je suis identiques ou des je suis chacun dans sa spécificité, il était essentiel de prendre la mesure… d’où ? pourquoi ? comment ? et puis, la suite…? dehors, là-bas, avec les autres, au milieu d’eux…? y être sans se perdre ni dans la masse, ni dans les stratégies, y être pour soi, avec les siens, c’était chose possible
. je suis dirge, je suis death, je suis un morceau à la portée de tous, je suis un chant funèbre, je suis une petite mélodie que je peux siffler, chanter, avec des lalala lalala lalala, qui m’accompagneraient tout au long de la semaine, des semaines à venir, des mois, plus encore, pour les accompagner, eux, elles, toutes les victimes… de l’intolérance, de la loi du plus fort, de la foi du plus fort, quelle qu’elle soit, ici, ailleurs, du retour à la sauvagerie… oui, ils portent aussi le costard-cravate… je suis le moment d’après qui, figé, cherche à reprendre vie, resitue les priorités, rend la clairvoyance, le peu d’esprit critique nécessaire à la cervelle, à l’œil, qu’on a voulu faire taire, paralyser
.
en quelques secondes, la porte côté conducteur qui claque à quelques centimètres du genou gauche, un grand souffle en sortant du boulot, à poser le sac au petit triangle rouge sur le siège passager, les clés de la maison et celle du travail sur le même trousseau posées sous le cendrier rempli de petites pièces pour le pain, les horodateurs, à tourner le bouton qui allume la radio, laisse percer le son (voix masculine, féminine ? plus aucune idée…) : deux morts, Charlie, rafales, attentat, des morts, deux hommes, un feu rouge, dix morts, Charlie Hebdo, le boulevard qui monte, l’équipe de Charlie Hebdo, le virage à gauche, encore à gauche, encore un feu, douze morts, le copain devant son écran : « t’as vu ?!!! »
.
les lois, les règles, et les libertés. du bon dosage souhaité, des équilibres incertains, jusqu’au moment où…
.
deux caricatures en tête (la réflexion est redessinée…) :
— ce dessinateur qui demande à son rédac chef s’il peut dessiner un chat… l’autre rechigne : « le chat était un animal sacré il y a des siècles, alors, tu sais, il faut faire attention… ». le dessinateur, après un long moment de silence, lui demande alors s’il peut dessiner… une laitue…?
— un gros engin de chantier, un peu militaire, genre pelleteuse ou tractopelle arborant une banderole « patriot act » ou disons « lois liberticides au nom de la sécurité » qui fout en l’air tous les manifestants « je suis Charlie »… pour garantir la liberté, au nom de la sécurité ?
.
je suis dirge, je suis death, je suis un morceau à la portée de tous, je suis un chant funèbre, je suis une petite mélodie que je peux…
je suis celui qui écrit : « je n’accompagnerai pas celles et ceux qui voudront enfermer la liberté dans une cage pour la protéger… » E.5131.
belle année à toi, à vous, à nous toutes, nous tous…
on se le tient pour dit mais on ne donne pas sa langue au chat
. « lâche l’affaire, petite bête, t’es pas à la hauteur ! »
« évoluer, c’est vivre avec son monde ! »
« avoir raison dans la solitude, est-ce vraiment avoir raison ? »
« vous exagérez tout… »
« regardez le côté positif… »
. et cette bonne nouvelle qui éclate cette semaine !
ce n’est pas encore gagné, mais c’est une belle victoire !!!
. le CIP (qu’on réduit aux « Intermittents du Spectacle » mais qui se bat pour les chômeurs, les intérimaires, les précaires… plus généralement pour l’assurance chômage) a remporté une large victoire !
celle de la crédibilité…
pas auprès de nous… mais auprès de celui vers qui nous allons avancer avec cette nouvelle…
celui qui nous conseille habituellement d’y aller mollo et avec la manière, de la fermer, que les syndicats sont corporatistes, que les intermittents ça en branle pas une, que le chômeur y gagne un paquet de blé à rien fout’, que ceux du dessus y savent quand même bien de quoi qu’y parlent…
. ce matin, dimanche matin, celui-là, on a bien envie de lui envoyer un jolitagueule… avec un ruban autour.
. ça fait 11 ans qu’ils le disent… (11 ans que personne n’écoute…)
. autour de la table, le partenaire social (c’est lui qui a choisi le terme… pour nous, c’est plus simplement un adversaire) ne va pas rendre la discussion facile…
le risque est grand pour lui de voir, au-delà d’un débat qu’il dira ponctuel, un modèle de société présenté au reste des citoyens et des travailleurs. un modèle plus juste…
alors qu’il est en train d’ébouillanter la grenouille sans qu’elle s’en aperçoive, de creuser les inégalités, de plonger une grande partie des citoyens dans la précarité, la pauvreté, d’éreinter la totalité, tout en retirant des dividendes jamais espérés, c’est pas le moment -pour lui- de laisser croire qu’on peut fabriquer un autre monde…
.
et rappelle-toi une chose : ceux qui ont fait avancer, ont défendu, le dossier des « Intermittents, chômeurs, précaires… » sont tous conscients de quelque chose : par là, ils faisaient de la politique.
faire de la politique, ce n’est pas un gros mot…
c’est s’occuper de ce que celui que tu veux renvoyer dans ses pénates veut garder pour lui : le pouvoir exclusif et la défense de ses propres intérêts. si tu veux reprendre la main, il faut voter, t’engager (asso, collectif, organisation… selon tes appétences) et fabriquer le nombre…
c’est le seul moyen d’influer sur le cours des choses…
et le pouvoir ne sera plus exclusif, mais partagé, les intérêts collectifs…
Ce vendredi dans la maison d’alfée, nous sommes contents de vous présenter (enfin, oui !) les trois productions principales de la compagnie.
Histoire de reprendre notre histoire là où elle s’était reposée, un temps.
Un bâton de pèlerin, des envies, quelques fiertés aussi.
Oui. C’est vrai.
Parce que un pas puis un pas, voilà. Vous savez la suite.